La seconde résidence (ou L’inconnu)
Ali est un lycéen de dix-sept ans. Il vit en ville
avec sa famille. C’est la fin de l’année scolaire. Cet adolescent a hâte de
profiter de ses vacances au bord de la mer, mais il doit attendre que toute la
famille soit prête. Son père ne prend son congé que dans deux semaines.
Une semaine s’écoule loin de l’école sans qu’Ali ne
goûte aux vraies vacances. Il décide de devancer sa famille et d’aller tout
seul à leur deuxième résidence sur la cote à une cinquantaine de kilomètres de
la ville. Avec une insistance digne d’un grand diplomate, il obtient l’accord
de ses parents de partir. Il n’y a rien à craindre puisque tout le monde,
là-bas, le connait à force d’y séjourner chaque année. Il peut solliciter
l’aide des voisins en cas de besoin. En plus, il ne s’agit que d’une semaine et
le temps passe très vite.
À son arrivée, Ali passe toute la journée à
nettoyer, il ouvre toutes les fenêtres
pour aérer la maison. Sa famille doit être surprise par la propreté des lieux.
Toutes ses journées, Ali les passe sur la plage. Il
participe aux différents jeux organisés par les estivants et ne fait qu’un
petit break d’une heure pour renter à la maison prendre son déjeuner. Vers dix-huit heures, il rentre prendre une douche rapide
pour se débarrasser du sel de la mer. Après une collation, il va errer sur les
sentiers, profitant d’une température moins lourde. La verdure qu’offrent les
champs de luzerne et de maïs, qui caractérisent la chaude saison lui enlèvent
toute la fatigue accumulée à la plage. Que c’est un délice de manger les figues
après les avoir récoltées soi-même et lavées dans les petits ruisseaux tout en
jasant avec les campagnardes qui affichent une curiosité démesurée aux
personnes étrangères ! Oui, Ali aime bien lui aussi parler ; il est
loquace. Il a la tchatche, disent ses copains de classe.
C’est le vendredi, la veille de l’arrivée de sa
famille. Ali allonge sa soirée avec des jeunes de son âge sur la plage. Ils
sont cinq jeunes autour d’une table à parler de tout et de rien ;
chacun étale ses prouesses, les vraies
et les fausses pour créer, chez les autres, étonnement et admiration. Ali est
excellent dans le jeu, ce qui le fait tarder à rentrer.
Avec une tête lourde, Ali franchit le seuil de la
maison et se dirige directement vers sa chambre. Il ne peut pas attendre,
l’appel de la couette est plus fort. D’habitude, dans son lit, il entend la
musique qui retentit sur la plage se trouvant seulement à deux cents mètres.
Les bruits des vagues arrivent jusqu’à ses oreilles pour lui murmurer leur perpétuel
suicide. Cette nuit-là, rien de cela n’arrive. Mais un soupçon de bruit
provient de près, de sa chambre. Y a-t-il quelqu’un ? Ali s’enfonce dans
sa couette, son cœur commence à battre, il n’ose plus envoyer sa main sur le
commutateur qui se trouve au-dessus de sa tête. Une présence est là. Elle est
de plus en plus présente. Il la sent. Il sent quelque chose l’épier. Que
faire ? Son cœur continue à battre très fort. Il le sent se balader dans
tout son corps. Soudainement, le bruit
cesse. Ali sort sa tête de la couette, essaie de voir ce qui se trouve
là, en face de lui mais il fait nuit et ne peut rien distinguer. Il tend sa
main vers le bouton, malheureusement la lampe d’éclairage ne répond pas. Il
entend la porte s’ouvrir et se fermer le temps que l’inconnu sorte. C’est une
vérité, il était là, quelque chose était là, dans sa chambre, à quelques
centimètres de son lit.
Quelqu’un s’est introduit dans la maison. Comment
a-t-il fait ? La porte était bien fermée. Ali est sûr maintenant. Il
réessaie, sans succès, de déclencher la lumière. Une lumière vient du salon et
pénètre dans sa chambre par le dessous de la porte. La peur le regagne. Il s’agrippe
à je ne sais quel vide. Il faut qu’il crie de toutes ses forces pour alerter
les voisins dont la maison est à une trentaine de mètres de chez lui. Il doit
le faire quand même. Mais aucun son, aucune voix ne sort de sa gorge. Il tremble
maintenant de tout son corps, son lit grince, une sueur froide l’envahit. Il
s’accroche à sa couette avec toutes ses forces. Il se rappelle que dans les
situations difficiles il n’y a qu’à prier dieu, mais quel dieu ? Comment
va-t-il faire ? Le Coran est à son chevet et il suffit qu’il le touche,
mais à côté il y a aussi un autre livre, celui de Salman Rochdi « Les
versets sataniques ». Il se débat pour se calmer mais ne réussit pas. Il
n’arrive pas à apaiser ses membres qui deviennent objet d’un tremblement
terrible.
Dans
le salon, il y a de la vie ; il entend la télé, des paroles qu’il n’arrive
pas à comprendre. Les pleurs d’un bébé et des rires le font comprendre qu’il y
a plus d’une personne, peut-être toute une famille d’inconnus. Le bébé continue
de pleurer, ses cris deviennent de plus en plus forts comme s’il recevait des
piqures d’abeille ou des décharges électriques. La chambre commence à tourner.
Les meubles subissent le mouvement et s’entrechoquent. Ali devient un de ses
objets, il perd tout contrôle. Il s’évanouit…
Au
réveil, les yeux d’Ali rencontrent le regard d’une femme toute nue en face de
lui. Elle semble le défier par la puissance de son regard. Puis, il se rend
compte de la présence de deux hommes à côté d’elle bien indifférents, mais eux,
par contre, sont bien habillés. Il ne comprend pas ce qu’il voit : des
arbres, une autre femme qui prend son bain dans un un
ruisseau qui coule pas loin de l’endroit où sont assis les deux hommes et la
femme sans habits. Pourquoi est-il là, proche de cette scène surréaliste ?
C’est un rêve ou une réalité ? Mille
et une questions lui taraudent l’esprit encore en état de flottement. Il
regarde autour de lui et découvre qu’il est
bien dans sa chambre mais pas à sa place, dans son lit. Il est allongé sur le
sol où des habits trainent donnant l’impression qu’une meute de chats a sévi là.
Tout est clair puisque ’ouverte, la fenêtre laisse entrer la lumière du jour. Il
jette un regard sur l’horloge et découvre qu’elle s’est arrêtée sur trois
heures onze minutes. Il remet ses yeux
dans la direction de la femme nue et
n’aperçoit que le tableau de Manet « Le déjeuner sur l’herbe » qu’il
avait fixé le premier jour de son arrivée.
On sonne. Vite, ça doit être sa famille qui arrive.
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