"VIRUS L.I.V. 3 ou La mort des livres" est un
roman de science fiction de Christian Grenier, un auteur français.
Dès l’incipit,
pertinemment choisi, le lecteur est renseigné sur le sujet et le temps de
l’histoire. En effet, le lecteur est plongé dans un monde futur où la république des lettres a
imposé ses lois. Les écrans sont interdits. La population doit s’adonner à la
lecture et à l’écriture qui deviennent un devoir. C’est la république des
lettres qui dirige la société
Allis est élue à
l’Académie après avoir écrit un roman « Des livres et nous ». Elle doit
approcher les Zappeurs et découvrir celui qui a mis au point le virus qui
détruit les livres. Allis découvre que Lund, fils d’Emma, un membre de
l’Académie, est chef des Zappeurs. C’est de lui qu’elle est tombée amoureuse en
lisant Le Fils disparu. La grande surprise pour elle, c’est que c’est lui-même
qui se cachait derrière Mondaye, la fille avec laquelle elle communiquait. Lund
se livre à l’Académie et propose une solution pour combattre le virus.
Si
tout texte littéraire est implicitement un hommage à la littérature, ce texte
de Grenier l’est explicitement. Il ne s’agit pas seulement d’un hommage à
Bradbury mais toute la littérature est honorée puisque tout est littéraire dans
ce livre. Grenier a l’idée originale d’associer des personnages romanesques
avec leurs créateurs pour nommer ses propres personnages, c’est ainsi qu’Allis
L.C. Wonder est une allusion à « Alice
aux pays des merveilles » de Lewis Carroll, comme il y un chapitre
intitulé « Allis au pays des Zappeurs ». Pour mener sa mission, elle
se cache derrière une fausse identité : Claudine C.W. Sido en référence à
l’écrivaine Colette. Emma G.F. Croisset renvoie à Gustave Flaubert et son
personnage célèbre Emma Bovary. Colin B.V. Chloé fait référence à « L’écume du jour » de Boris
Vian. Rob D.F. Binson rappelle « Robinson
Crusoé » de Daniel Defoe. Céline L.F. Bardamu est une allusion significative
à l’auteur de « Voyage au bout de
la nuit » et de son personnage central.
La
mention des œuvres marquantes de la
littérature est un fait marquant. C’est ainsi que plusieurs titres sont cités (La
peste, Le Grand Meaulnes, Eugénie grandet, La métamorphose…). Par ce biais,
l’auteur invite le jeune lecteur à s’intéresser davantage à la lecture et à la
recherche. Cette invitation est formulée par le procédé de la mise en abyme qui
permet de passer de l’histoire que traite le livre à d’autres univers des
autres textes littéraires.
Le roman aborde des
sujets importants. La dictature est illustrée par les lois, instaurées par l’académie, qui privent les membres de la
société de la liberté. Le désir de Céline de faire voter des lois contre les
Zappeurs montre sa haine et son rejet de la différence. Elle a un esprit de
belligérance qui n’arrange rien pour un monde de paix.
Dans la vie, il n’y a pas
seulement la littérature et les livres mais aussi les devoirs d’un autre ordre.
Ainsi Emma a failli à son devoir de mère pour se consacrer entièrement aux
lettres. Son fils lui reproche : « Pourquoi ne m’as-tu pas fait
soigner ? ». Attitude qu’elle va regretter puisque Lund, voyant
qu’elle est indifférente à ses besoins, la quitte pour le camp adverse alors
qu’il est, normalement, destiné à être un lettré.
Les nouvelles
technologies que les Zappeurs défendent et développent, en dépit des lois de la
république, montrent à quel point on ne peut se passer de ces nouveautés. Ce
sont des nouveautés au service de l’humanité, thèse que prouve et défend le
roman.
Un sujet hyper sensible est celui du
handicap. L’auteur a conçu ses deux personnages principaux avec des handicaps.
Allis est sourde et muette alors que Lund est aveugle. Leur rôle est capital
dans le rapprochement entre les deux mondes, celui des lettrés et celui des Zappeurs.
C’est tout l’espoir qui est mis en avant dans un monde caractérisé, de plus en
plus, par l’hostilité entre les humains.
On
va de rebondissement en rebondissement dans ce texte, c’est ainsi qu’on est
surpris par l’explication de Lund sur le virus qui est conçu non pas pour tuer
les livres mais pour rendre la lecture accessible à tous. Le lecteur, au début,
construit une idée fausse sur les Zappeurs pour se rendre compte, vers la fin
du roman, que cette partie de la population est capable d’apporter une plus
value pour la société.
Le
texte est mouvementé et dynamique en raison des interventions directes des
personnages. Les dialogues structurent le récit du début à la fin. Ce mouvement
est un facteur essentiel pour accrocher le jeune lecteur qui préfère un échange
entre les personnages au lieu d’une narration sèche et difficilement digestible
pour lui. C’est cette fluidité qui assure la
réussite d’un texte auprès du lectorat jeune, y compris les adultes.
La
narration à la première personne du singulier, à travers le personnage
principal qui relate cette histoire, maintient plus l’attention du
lecteur. Cette adoption du point de vue interne lui permet de se sentir plus
proche du personnage. Et pour que son texte soit plus accessible, Grenier l’a
réparti en plusieurs chapitres avec des titres résumant explicitement le
contenu. Et pour ne pas perdre le lecteur, les étapes de l’histoire respectent
l’ordre chronologique.
Le monde des livres et l’univers
de l’écran et de l’image ne sont pas antinomiques. C’est dans une
complémentarité qu’ils offrent à l’homme toute la chance de s’épanouir. Le
roman apporte des exemples significatifs. Quand elle est emprisonnée par
Céline, Allis retrouve Emma via le
roman Les Feux de la passion et communique avec Lund dans Fahrenheit 451 grâce au virus L.I.V 3.
Allis
et Lund trouvent une solution à leurs handicaps grâce à ces deux mondes,
d’abord la littérature et et le mode de lecture interactive virtuelle que
permet le virus, et ensuite la communication que leur facilite la technologie.
C’est dire la complémentarité de ces deux créations humaines au service de l’humanité.
Si
dans ce texte le pouvoir est aux mains des lettrés qui interdisent l’écran,
dans « Fahrenheit 451 »
c’est le contraire qui arrive, l’intrigue est inversée : les livres sont
interdits et l’écran est un outil dont se sert le pouvoir pour gouverner. Ce
texte peut être lu comme une suite au texte de Bradbury : les érudits
prennent le pouvoir et deviennent revanchards après avoir subi la
marginalisation lors de la dictature de l’écran et de l’image (dans Fahrenheit
451).
L’histoire
est simple et bien structurée. C’est un livre qui se lit vite. La leçon du
roman est que l’absence de communication engendre la guerre. C’est en faisant
l’effort d’écouter l’autre partie et de la comprendre dans sa différence (ici
c’est le rôle d’Allis) que la paix et la réconciliation deviennent réalité. La
littérature est un vecteur pour cette entente d’où l’hommage que lui rend
Christian Grenier, hommage qu’il a réussi avec brio.